En 2025 les saint-mauriens sont condamnésà regarder passer les rames à la station Saint-Maur Créteil de la ligne 15 Sud sans pouvoir y accéder

Publié le par Jean-Pierre Roux

Lors du conseil municipal du 18 novembre 2021 Sylvain Berrios, maire de la ville de Saint-Maur des Fossés, s’est livré à un exercice périlleux pour expliquer qu’en 2025, « date » à laquelle la ligne 15 Sud du métro du Grand Paris devrait être mise en service, les saints-mauriens devront se contenter de regarder passer les rames à la station Saint-Maur Créteil, sans pouvoir y accéder. Evidemment, ce n’était pas facile d’expliquer une telle situation assez exceptionnelle dans les annales des mises en service de nouvelles lignes de métro. Sylvain Berrios semblait un peu gêné en feuilletant ses documents pour trouver des arguments pouvant justifier un tel retard et une telle situation.

Pour justifier cette situation, la mairie de Saint Maur des Fossés et la société Eiffage, maître d’ouvrage pour la réalisation de la station Saint-Maur Créteil, mettaient en avant trois difficultés majeures auxquelles Eiffage a été confrontée :

Première difficulté : La démolition du parking de la station Saint-Maur Créteil de la ligne A du RER.

Selon Eiffage, l’imbrication de la structure de cette station avec celle du parking, pouvait entraîner une fragilisation du gros œuvre de la station lors de la démolition dudit parking qui pouvait se répercuter sur le talus supportant les voies et les équipements de la ligne A, ce que nous voulons bien croire. En conséquence de quoi, des précautions auraient été prises par Eiffage pour éviter tout incident. Si nous avons bien compris, malgré le peu d’informations précises que nous avons à ce propos, celles-ci auraient eu des répercussions sérieuses sur le planning des travaux de démolition du parking.

Deuxième difficulté : Pour les besoins de la réalisation de la nouvelle station, il a fallu démolir un bâtiment dont on ne soupçonnait pas la présence d’une grande quantité d’amiante présente dans la structure de celui-ci. Il en a résulté une série de précautions qu’il a fallu prendre, tout à fait justifiées d’ailleurs, mais cause d’un nouveau retard.

Troisième difficulté : Au cours des travaux de réalisation des parois moulées servant de « boîte » à la nouvelle station, Eiffage s’est rendu compte que la nature des terrains au niveau moins 50 mètres et au-delà, devait l’obliger à prendre un certain nombre de dispositions pour assurer la stabilité de l’ouvrage. L’une d’elles de devait amener Eiffage à consolider ces terrains servant d’appui à l’ensemble de l’ouvrage. On peut supposer que c’est surtout cette découverte qui a engendré les retards les plus importants.

En examinant attentivement une à une ces « difficultés », nous n’avons pu nous empêcher de nous interroger.

Tout d’abord à propos de l’imbrication de la gare du RER A et de l’ancien parking. Que cette découverte ait pu être une surprise pour Eiffage, alors que des études détaillées avaient été réalisées selon le schéma classique pour mener à bien un tel projet, nous a quand même laissé perplexe. Quant à la fragilisation que ces travaux pouvaient engendrer sur la structure de la gare du RER A et le talus supportant les voies de la ligne A, on pouvait le penser à moins et ce, bien en amont des études détaillées. Car, creuser non loin de là un énorme « trou » pour la réalisation de la station de la ligne 15 Sud, pouvait amener Eiffage à se douter qu’il fallait redoubler de précaution pour éviter tout affaissement de terrain. Enfin, la connaissance de la nature des sols sur lesquels la nouvelle gare devait reposer était d’une importance capitale. On suppose, là encore, que l’étude des sols à cet endroit a dû être particulièrement soignée et qu’en conséquence de quoi il en a été tenu compte pour la méthode constructive de la structure « enveloppe » de la station et ce avant même de débuter la construction de la station.

Autre surprise, si l’on peut dire, c’est que depuis le début du projet du métro du grand Paris, les dates de mise en service annoncées par la Société du Grand Paris sont toujours très évasives : « mise en service de la ligne 15 sud fin 2025 ». Quant à la station Saint-Maur Créteil 15 sud, ce sera en 2026. J’entends déjà certains qui vont répliquer que compte tenu des aléas divers et variés il est difficile d’être précis. Ce n’est pas tout à fait faux, car bien entendu il existera toujours des aléas qui se présenteront dans toutes les disciplines et ce, quelle que soit la qualité des études qui ont été réalisées.

Mais des retards aussi énormes ne peuvent se justifier que par une accumulation de retards plus ou moins importants que les responsables du projet devaient annoncer au fur et à mesure de l’avancement des travaux. Car, annoncer un tel retard, du jour au lendemain, c’est pour le moins surprenant, d’autant qu’aujourd’hui il existe des outils pour planifier la réalisation des grands travaux qui permettent de mesurer les écarts entre le planning originel et le planning à l’instant « T ». Ces outils permettent de connaître les motifs des retards et leur importance au moins mois par mois et permettent d’ailleurs au maître d’œuvre de se protéger quand les retards ne sont pas de sa responsabilité.

On peut supposer aussi que d’autres facteurs de retard, dont on ne parle pas, exception faite pour la Cour des Comptes dans un rapport de 2018, dans lequel elle émettait un jugement sévère sur l’inflation des coûts et des retards. En premier lieu, la complexité de l’organisation de la Société du Grand Paris qui s’inscrit dans une nouvelle entité territoriale, la Métropole du Grand Paris, dont on parle peu et dont les structures sont encore plus complexes que celles de la SGP. Cette complexité ne facilite pas des prises de décision rapides, bien au contraire, et à l’inconvénient de diluer les responsabilités.

Les changements intervenus au cours de la réalisation du projet dans la méthode constructive :

Création d’une branche à la station Champigny-Centre

La branche créée à la station Champigny-Centre pour rejoindre le terminus sud de la ligne 16, Noisy-Champ, en est un des exemples des plus révélateurs. En effet, la ligne 15, composée des tronçons Nord, Sud, Est et Ouest devait être à l’origine, une ligne circulaire comportant des correspondances classiques avec les lignes.de métro dont le tracé interférait avec le sien. Sous l’action d’un puissant lobbying mené par l’association Orbival, il a fallu en 2020 faire un choix entre le projet originel et le projet de débranchement de la ligne 15 Sud à la station Champigny-Centre pour la création d’une branche se dirigeant vers le terminus sud, Noisy-Champs, de la ligne 16. Pour ce faire, il a fallu créer, une commission pour être certain de ne pas commettre une bévue ce qui a pris quelques mois. Quel a été l’impact de ce changement sur le planning des travaux, quels ont été les motifs de cette commission pour entériner ce changement de projet ? Rien ou presque rien n’a filtré dans la presse.

Mise en service de la station Saint-Maur Créteil après la mise en service de la ligne 15 Sud

Si l’officialisation d’un retard d’un an de la mise en service de la ligne 15 Sud n’a été une surprise pour personne, par contre, le retard d’une année supplémentaire pour la mise en service de la station Saint-Maur Créteil, fut une très grande surprise et une très grande déception. Non seulement pour les saints-mauriens, mais aussi pour tous les voyageurs de la ligne 15 Sud qui seront privés de la correspondance avec la ligne A du RER pendant un an et peut-être plus.

Cette situation étrange, découle de la problématique qui se posait à Eiffage, lorsque le tunnelier en provenance de Créteil s’est présenté à l’entrée de la station Saint-Maur Créteil. Soit il fallait stopper le tunnelier et attendre que la station soit terminée, tout au moins en partie, pour la traverser, libre de toutes contraintes, soit le tunnelier devait continuer sa marche vers la station Champigny-Centre. C’est cette dernière solution qui a été choisie, ce qui a eu pour résultat de prolonger la construction d’un tunnel à l’emplacement de la future station Saint-Maur Créteil, tunnel que le tunnelier construit au fur et à mesure de son avancement. Et c’est la présence de ce tunnel, qui va compliquer la construction des quais et les autres parties de la station qu’il nous est impossible d’énumérer, car Eiffage s’est montré très discret sur le sujet.

Cette décision sera lourde de conséquences. D’abord sur le plan financier, car les difficultés pour terminer la station dans de telles conditions, seront complexes et elles ne peuvent s’inscrire que dans la durée. Elles toucheront aussi toutes les disciplines : alimentation en énergie électrique de traction, d’énergie éclairage et autres équipements de la station, signalisation et pilotage automatique…

Un « détail » a été oublié dans les annonces faites par la SGP. La société exploitante devra demander une dérogation touchant la sécurité du système de transport. En effet, les normes sécuritaires prévoient la possibilité de pouvoir évacuer les voyageurs d’un train bloqué sous tunnel suite à un incident quelconque. Le plus dangereux étant l’incendie à cause surtout des fumées toxiques qui s’en dégagent. Pour pallier les risques qui en découlent, il est prévu d’implanter des « puits d’évacuation » entre deux stations et ce, tous les 800 mètres, les stations ayant elles-mêmes une fonction « évacuation ». La station Saint-Maur Créteil ne pouvant plus jouer ce rôle, on augmentera forcément le temps de parcours des voyageurs pour qu’ils puissent trouver une issue de secours. S’ajoute à ceci une question. Les ventilateurs de la station Saint-Maur Créteil pourront-ils être mis en service à la mise en service de la ligne 15 Sud, soit en 2025 ?

Considérations générales sur le planning et le financement des grands projets

Le point commun à tous les grands projets en France, réside dans le fait qu’au lancement de ceux-ci, les pouvoirs publics annoncent un prix relativement bas pour ne pas effrayer les décideurs qui vont devoir donner leur approbation. A ceci s’ajoute des délais de réalisation trop souvent très optimistes. Le métro du grand Paris n’a pas échappé à la règle.

C’est ainsi que le président de la Région Ile de France, Mr Jean-Paul Huchon, en 2015, avait annoncé un coût global pour sa réalisation de 27 Mds €. Aujourd’hui le coût global est évalué à 35 Mds. Quant aux délais parlons-en. La ligne 15 Sud devait être mise en service dans un tout premier temps en 2020, puis pour les jeux olympiques qui vont débuter en juillet 2024. La ligne 15 Sud aurait donc dû être mise en service pour le moins en juin 2024. Elle le sera fin 2025 pour ne pas dire en 2026, soit avec 2 ans de retard, ce qui fera au total pour la station Saint-Maur Créteil 3 ans de retard.

Epilogue

La réalisation du métro du Grand Paris démontre une fois de plus que l’Etat a beaucoup de mal à gérer les grands projets. Invariablement, ceux-ci s’accompagnent de dépassements budgétaires qui parfois pulvérisent les prévisions les plus pessimistes comme pour l’EPR (European Pressurized Reactor) de Flamanville. Il en est de même pour les délais de réalisation qui très souvent, pour ne pas dire toujours, sont masqués par des plannings glissants qui par définition n’indiquent jamais le planning originel à l’instant « t 0 ».

Quant à la participation des citoyens, l’Etat et les collectivités territoriales continuent d’utiliser comme outils participatifs, l’enquête publique ou bien le referendum (auxquels, généralement,  très peu de citoyens participent) pour approuver le projet. Quant au suivi de l’avancement du projet, c’est l’omerta la plus complète qui règne. Il semblerait que même les élus, que ce soient les parlementaires ou les élus locaux, sont incapables d’avoir une vue claire du déroulement du projet tant sur le plan technique que sur le plan financier. S’ils en avaient toutefois une, qu’ils s’expriment !

Jean-Pierre Roux

 

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